Une classe Montessori dans une école publique de La Réunion. Témoignage de Marie Constans.
site web : www.apprendreavecplaisir.sitew.fr/
Professeur des écoles depuis 15 ans dans l’Éducation nationale, j’ai une classe expérimentale article 34, d’inspiration Montessori depuis 3 ans à la Réunion.
J’y accueille des enfants âgés de 3 à 6 ans pour 3 années consécutives. J’ai commencé ma carrière avec des CP et des CE1, et depuis j’ai toujours eu des maternelles.
J’ai toujours enseigné de manière « traditionnelle », et j’ai toujours été passionnée par mon métier.
Pourtant, malgré mon investissement, les projets motivants que je pouvais trouver, je n’ai jamais réussi à faire progresser TOUS mes élèves. Certains ne progressaient pas, ou peu, et je me retrouvais à la fin de l’année avec des élèves qui allaient continuer leur scolarité avec de grosses difficultés, et une démotivation croissante.
J’avais l’impression de ne pas réussir à proposer des activités adaptées aux besoins et aux intérêts des enfants.
Devant mon dépit, mes collègues me disaient qu’il fallait accepter, qu’on ne naissait pas tous égaux…
A l’IUFM, on disait que les projets devaient être motivants, que les élèves devaient manipuler…
Oui mais comment, concrètement ??
Et puis j’ai lu « Pédagogie scientifique, tome 1 » de Maria Montessori. Ce livre répondait concrètement à mes questionnements.
A partir de là, j’ai commencé à changer ma pratique d’enseignante, j’ai fabriqué du matériel, et aménagé des temps de travail individuel et autonome.
Puis j’ai voulu me former, mais il n’y avait rien à la Réunion, alors j’ai organisé pendant les vacances scolaires la venue d’Agnès Putoud, de l’association La Pédagogie Montessori Aujourd’hui, pour effectuer 2 stages, niveaux 1 et 2.
La rencontre avec le matériel de Maria Montessori a été pour moi une autre révélation, j’étais conquise.
C’était le moment pour moi de me lancer dans l’expérimentation. J’ai proposé à l’équipe pédagogique d’ouvrir une classe de cycle d’inspiration Montessori, réunissant les 3 niveaux de maternelle: les collègues étaient d’accord, cela leur permettait également de n’avoir plus que des niveaux simples.
La directrice a informé l’inspectrice, qui a proposé de nous rapprocher de la CARDIE et de faire une demande de classe expérimentale, article 34. J’ai contacté la CARDIE, rempli la fiche de l’article 34, l’IEN a émis un avis favorable, et le recteur a autorisé l’ouverture de la classe.
Grâce à ce statut officiel, la classe a obtenu de la part de la mairie de Saint Denis une subvention pour l’achat de matériel pédagogique spécifique, les murs de la classe ont été repeints et des étagères ont été construites et placées tout au long des murs.
La première année, j’ai commencé avec du matériel de vie pratique, de développement sensoriel et de langage, que j’avais financé moi-même. J’ai fonctionné au départ avec des groupes autonomes et sous la surveillance de l’ATSEM, pour des ateliers de dessin, peinture, pâte à modeler, construction, puzzles, … mais pas sur des fiches.
J’ai gardé les coins jeux (poupée, dînette, construction).
J’ai présenté progressivement aux enfants le matériel de vie pratique (verser, visser, enfiler des perles…) et les activités préliminaires (rouler un tapis, porter sa chaise…) par petits groupes pour les plus grands.
Une fois le matériel présenté, ils avaient le droit de reprendre le plateau et de répéter l’activité autant de fois qu’ils le désiraient.
Petit à petit, j’ai retiré les coins jeux, les tables de regroupement, et je suis passée d’un fonctionnement de groupes à de l’individuel.
Les enfants sont devenus autonomes et choisissaient leurs activités.
En janvier, je recevais le matériel manquant, notamment en mathématiques.
Cela fait maintenant 8 ans que je suis dans cette école, et je suis cette année la plus ancienne de l’équipe.
Cette année l’école est passée en REP. L’école accueille des enfants de milieux socialement hétérogènes.
Il y a 9 classes en maternelle, 2 PS/MS bilangues allemand, 2 PS/MS/GS d’inspiration Montessori et 5 classes classiques à niveau simple.
Les relations avec les parents sont bonnes, ils me font confiance et me font des retours positifs. Je reçois beaucoup les parents avec leur enfant en entretien individuel. Leur enfant est généralement content de venir, ils trouvent que leur enfant s’épanouit et progresse dans son autonomie et ses apprentissages.
J’ai également de bonnes relations avec mes collègues, progressivement elles s’intéressent à la pédagogie de Maria Montessori et changent l’aménagement de leur classe et leur emploi du temps : toutes les anciennes possèdent du matériel Montessori, épurent leur salle de classe, aménagent des temps de travail individuel autonome.
De plus mon projet a donné une impulsion, depuis cette année, 2 collègues fonctionnent complètement en Montessori, avec une classe en maternelle PS/MS/GS, et une en élémentaire CP/CE1 pour cette année et CP/CE1/CE2 pour la rentrée prochaine.
Les difficultés rencontrées
La 1ère année est difficile, car elle correspond à la mise en place du projet avec aucun élève qui ne connaît le fonctionnement de la classe.
Le manque d’échanges avec des enseignants engagés dans un projet similaire.
Je suis partie à la recherche de soutiens, médecin scolaire, neuropsychologue, collègues, formatrice Agnès Putoud, … elles se sont montrées très convaincues et cela m’a rassurée et confirmée dans mes choix pédagogiques.
Gros problème au niveau des ATSEM la 1ère année : elles se succèdent et ne sont pas formées, perturbation sur l’ambiance.
Je choisis d’être seule en attendant le retour d’une ATSEM investie et compétente.
Accueil de 2 élèves porteurs de handicap, cela perturbe l’ambiance, et je perds parfois patience. Les personnes qui suivent les enfants à l’extérieur ont aidé à leur intégration dans la classe.
Bilan général
La grosse différence de cette pédagogie pour moi est l’implication de TOUS les élèves, même ceux défavorisés socialement, et du coup TOUS progressent et osent s’investir, et par conséquent entrent dans les apprentissages, à leur rythme, mais ils y entrent. Certes, certains ont des difficultés, mais leur engagement leur permet de se dépasser, et de prendre confiance en eux et en l’autre.
Le contrat est alors tenu, ils savent qu’ils peuvent apprendre et que l’école peut répondre à leurs besoins.
Les bénéfices de cette pédagogie
Pour l’enseignant : beaucoup plus d’efficacité !
La posture de l’enseignant en classe est complètement différente : je ne suis plus celle qui possède le savoir absolu et la seule à pouvoir le dispenser !
Les élèves échangent et apprennent entre eux, ce qui me demande beaucoup moins d’énergie.
Je ne suis plus une animatrice en train de motiver les troupes pour adhérer au travail imposé, mais je suis devenue une observatrice et un guide.
Les présentations individuelles sont également beaucoup moins fatigantes que la transmission de savoirs à un groupe d’enfants.
La classe est beaucoup plus calme, va vers l’auto gestion, donc moins d’interventions de la part de l’adulte.
Toutes les personnes extérieures, qui viennent observer ma classe, trouvent qu’il y règne un climat calme et serein.
La préparation est beaucoup plus rapide et adaptée : je réfléchis au parcours de chaque enfant (ses progrès, ses centres d’intérêts, ses besoins, et à partir de là je définis des présentations à lui proposer).
Je ne passe plus un temps fou à réaliser des fiches de préparation, à écrire des progressions générales et jamais respectées…
Je suis plus calme, plus dans l’observation, du coup je vois davantage les progrès des enfants, ce qui me rend bien et me conforte dans ma posture.
Pour les enfants : beaucoup plus de richesses !
Les échanges entre pairs, la possibilité de choisir son activité, les rend autonomes, responsables et confiants en eux et en l’autre.
Le matériel de vie pratique, en isolant un geste de la vie quotidienne avec de vrais objets, permet la concentration, la maîtrise des gestes, et par conséquent renforce la confiance en soi et l’autonomie.
La mixité des âges favorise la coopération, le tutorat et la confiance en l’autre. Quand les petits arrivent dans la classe, ils aiment observer les plus grands et les imiter.
Réciproquement les plus grands apprécient beaucoup de montrer aux plus petits comment se servir du matériel.
La liberté de mouvement permet de répondre aux besoins du petit enfant et qu’il se sente bien dans la classe.
Le non jugement de l’adulte, son respect, sa bienveillance, son individualisation des parcours favorisent leur engagement et leur confiance en eux et en l’adulte. Chaque enfant va à son rythme, certains enfants sont très vite autonomes et absorbent tous les gestes, d’autres ont besoin de plusieurs mois, voire plusieurs années pour accepter et respecter les règles de la classe.
Les 3 années consécutives permettent aux enfants d’être rassurés, de prendre confiance, d’apprendre à leur rythme.
Au niveau des apprentissages plus scolaires, c’est assez spectaculaire ! Au niveau lecture, écriture et numération ! Si ce n’est pas parfait, c’est pour moi le plus convaincant.
L’an dernier, tous les GS étaient entrés dans la lecture lors de leur passage au CP : la plus avancée lisait des albums de littérature jeunesse, le moins avancé décodait des mots type «mur».
Pour avoir une idée plus concrète de ce qui se passe dans ma classe, vous pouvez consulter mon site, vous y trouverez des vidéos, et des rapports des différentes personnes venues dans ma classe.
Devant l’intérêt croissant que nous observons ces dernières années au sujet de la pédagogie de Maria Montessori, il faut pouvoir communiquer et partager sur les différentes expérimentations menées.
Oui mais comment ?
Se rendre visible, avec la diversité des moyens de communications mis à notre disposition (site Web, blog, réseaux sociaux, presse écrite et orale, fiche expérithèque de l’EN).
Organiser et participer à des réunions d’informations, pour apprendre, se former, échanger. Nos expériences doivent servir aux autres, aussi nous devons communiquer pour sensibiliser, pour aider les enseignants, les ATSEM, les parents qui s’intéressent à la pédagogie Montessori.
Trouver des partenaires dans le domaine de la petite enfance :
du médical, pour favoriser la scolarisation des enfants différents, de l’ESPE, pour favoriser la sensibilisation aux enseignants, de la mairie, pour sensibiliser le personnel communal en contact avec les enfants.
C’est pourquoi, il est temps pour nous de se fédérer.
Adhérer à une association telle que Public Montessori, me semble un moyen pertinent et efficace d’y parvenir.